MINCIR, UNE OBSESSION PARTAGEE |
Les titres de nos éditoriaux sont toujours aussi séduisants : « Une taille en moins ! », « Maigrir en 5 jours », « Une cure de choc et vous perdez 5 cm par semaine ! » Le sensationnel et les régimes miracles rencontrent toujours une large audience. La diététique ne résout pas tout, mais la frénésie de la demande est telle que la plupart des praticiens continuent à prescrire des régimes plus ou moins draconiens. Tous sont fondés sur des systèmes manichéens et totalitaires avec les bons aliments à privilégier et les mauvais à éviter. Circonstances aggravantes, pour mincir, le discours alimentaire est des plus fluctuant et semble répondre à des modes plus ou moins tendancieuses où il est conseillé de supprimer le sucre, puis de réduire le gras ; les heurts et malheurs des sucres lents (pain, pâtes, riz, pommes de terre) sont évoqués, mais de nouveaux messages sont venus les réhabiliter. Aujourd’hui, certains spécialistes affirment, à bon escient, semble-t-il, que leur absorption éviterait de se ruer sur les sucres rapides, en l’occurrence les pâtisseries, les sucreries, qui se transforment en graisse. Toutes ces contradictions amplifient la confusion et dénaturent notre relation à la nourriture.
Depuis les années 1970, notre société fabrique des gros et, dans le même temps, les condamne à maigrir sous peine d’exclusion. Nous sommes tous plus ou moins au régime et, pourtant, le nombre de personnes en surpoids est en constante augmentation ! Or, comme l’attestent de nombreuses publications scientifiques, 85 à 90 % des personnes en traitement ont repris leur poids d’origine, voire plus, dans les trois à cinq ans qui ont suivi. La majorité des cures se soldent donc par un échec à long terme. L’effet yoyo des régimes successifs aboutit inévitablement à une résistance progressive à l’amaigrissement. Aujourd’hui, avec ce recul, nous savons que les régimes ne permettent pas de mincir à long terme et aggravent même le surpoids. Ils sont, de surcroît, grands pourvoyeurs d’obésité et souvent générateurs d’une vulnérabilité accrue à la maladie et à divers autres troubles.
Le régime enferme dans un processus d’aliénation avec une alimentation impersonnelle, moralisatrice, semée d’interdits entraînant le cercle vicieux de la frustration et de la compulsion. Cet hyper-contrôle alimentaire implique un système de privations et de contraintes où chaque écart est vécu dans la culpabilité. Pour se concentrer sur cette surveillance alimentaire, on refuse toute invitation. Cette attitude génère des manœuvres d’évitement social, où l’on se coupe des autres et du monde. Un tel rythme ne peut être maintenu à long terme. Après la restriction, apparaît la phase de dérapage et de ras-le-bol vécue sur le mode compulsif. Lorsque le corps est privé de certains aliments, il ne comprend pas pourquoi on l’affame et, dès la réintroduction de ces aliments, il stocke le moindre surplus sous forme de graisse en prévision d’une nouvelle période de disette et les kilos s’empressent de revenir. Ainsi, la balance oscille sans cesse entre le pire et le meilleur. Plus les interdits sont puissants et stricts, plus les pertes de contrôle sont dévastatrices. De tels agissements ont des effets délétères sur nos comportements alimentaires. Au moindre relâchement, nous risquons de sombrer à nouveau dans l’anarchie, où saucissons, fromages, chocolat et autres friandises seront engloutis avec avidité. Les pertes de contrôle sont suivies d’un sentiment de honte et de culpabilité écornant un peu plus l’estime de soi.
Le contrôle amène une perte de contrôle qui confirme qu’il y a lieu, à nouveau, d’exercer son hypervigilance. Ce fonctionnement est épuisant psychologiquement et incite un peu plus sa victime à une auto-dévalorisation, dont elle ne sortira pas indemne. Après l’échec, elle tentera un autre régime la fragilisant davantage. « Le prochain sera le bon », se répète-t-elle, misant tous ses espoirs dans « l’ultime découverte ». Derrière tout ce qui est porteur d’espoir comme les régimes miracles, se cache en réalité une réelle souffrance. On déplace la plupart du temps son mal-être sur le paraître, sur l’image, on croit aller mieux, mais en réalité, c’est l’âme, l’intérieur qu’il y a lieu de soigner. Le régime échoue, car nous ne mesurons pas objectivement à quel point nos émotions pèsent sur la balance. Une déception, une colère rentrée et les belles résolutions s’effondrent : on se venge en s’accordant les douceurs qui font tant défaut ; l’appétit est toujours à la mesure de la frustration qui l’a précédé.
Pour se préserver des multiples tentations, nous nous posons un certain nombre d’interdits. C’est précisément en jugeant ces aliments tabous que nous finissons par flancher. En adoptant un état mental rigide, nous nous coupons de nos désirs, niant nos sensations, mais, à la moindre frustration, nous baissons la garde et basculons dans le désordre alimentaire. Il suffit, en effet, de se laisser tenter par une toute petite quantité d’aliment prohibé pour manger sans frein. En situation de conflit permanent entre norme tyrannique à atteindre et tentations individuelles à réprimer, nous nous battons en permanence contre nous-mêmes pour finir par se perdre dans des comportements de plus en plus névrotiques.
En renonçant à manger nos aliments favoris, nous nous privons de l’un des plaisirs essentiels de la vie, car manger participe aux délectations du quotidien. Mais les interdits pèsent lourd ; plus le désir est étouffé, plus nous risquons d’y succomber. En refusant le plaisir, on accumule le désir et, pour finir, on s’offre un super « passage à l’acte » : on MANGE! N’importe quoi, sans fin et sans faim !
Nombre de situations sont susceptibles de faire basculer dans l’anarchie alimentaire : des émotions comme la joie, la colère, la solitude, le stress, mais aussi la fatigue, une sensation d’inconfort physique ou psychologique. Incorporer des aliments devient pour certaines personnes un mode de défense contre toute situation d’angoisse, d’insécurité ou de privation affective.
Cette rage de mincir n’est-elle pas l’expression d’un mal-être plus profond, où seul le contrôle du corps donne à certaines personnes un sentiment d’existence ? Il faut, dans ce cas, réfléchir à des solutions et des stratégies d’ajustement autres que des réponses alimentaires.
Et si, pour exister vraiment, nous adoptions un nouveau code de conduite, où le bon sens resterait le guide le plus éclairé et où l’on se réconcilierait avec ces aliments que l’on a jugés tabous ?
*Par Michèle Freud, psychothérapeute, directrice de Michèle Freud Formations et auteur,
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