MINCIR AVEC PLAISIR* |
Nos premières années sont marquées par ce que S. Freud nomme
le «principe de plaisir » axé sur l’apaisement de nos
besoins essentiels, aussi le choix de notre alimentation n’est-il jamais
neutre et chargé d’une multitude de significations.
Notre toute première rencontre avec la nourriture est liée à
la satisfaction de téter, sucer, manger, avaler incorporer. C’est
le stade de l’oralité. Ce contact originel avec l’aliment est
sensé être rassurant, enveloppant puisqu’il est étroitement
associé à la mère. Nous connaissons l’impact sur notre
existence de ces « nourritures affectives » propres à édifier
les fondements de notre sécurité.
Après les deux premières années, le principe de plaisir devient
« principe de réalité. » Nous apprenons à maîtriser
nos pulsions, à renoncer au plaisir immédiat et à différer
la satisfaction de nos besoins. En grandissant, nous continuons à contrôler
et à réprimer nos envies, d’où nos inévitables
conflits.
Notre relation à la nourriture et au plaisir dépend-elle de la nature
de ce premier lien tissé avec celle qui nous a nourris ?
A entendre évoquer le récit de nombreuses personnes, ce lien traduit
une certaine ambivalence dans la palette de nos sentiments car, au fond de nous,
sommeillent aussi bien la nostalgie de paradis suaves que la réminiscence
de certains souvenirs amers de notre enfance :
Martha adore la glace à la fraise. Elle se souvient des barquettes de petites
sucettes glacées que sa mère confectionnait pour elle avec des fraises
du jardin. «Maman était très disponible pour nous. Chaque
fois que je mange des fraises, il me revient en mémoire ces délicieux
moments de partage et je songe avec délectation aux mille plaisirs de mon
enfance. »
La version de Marie Claude est toute autre : « Pour m’opposer à
ma mère qui me rabrouait sans cesse, raconte-elle, je refusais de manger.
A l’adolescence, j’ai commencé à me faire vomir. Mon
rapport à la nourriture est calqué sur celui qui m’oppose
à ma mère : vindicatif ! »
Mercédès s’épuise à faire des ménages,
travaille par obligation, sans réel enthousiasme. Elle vit seule et déclare
n’avoir aucune source de satisfaction ou de joie dans sa vie. « Le
plaisir ? Je l’ignore ! Ma mère ne me l’a pas enseigné.
»
Pour cueillir le plaisir, il faut savoir l’accueillir et cela, nous ne l’avons
pas toujours appris.
Si le plaisir de manger n’est pas reconnu, la seule façon d’y
accéder est la transgression, elle-même génératrice
de culpabilité, conséquence de
la répression. La plupart du temps, nous entretenons un rapport si complexe
avec la nourriture que nous oublions que l’acte de manger constitue un vrai
plaisir.
Pour mincir, la notion de plaisir est essentielle, pourtant, certains
régimes préconisent la privation et l’idée de consommer
des mets que l’on affectionne paraît de ce fait totalement incongrue.
« Je surveille mon poids et me prive de tous les aliments que j’aime,
mais je suis d’une humeur massacrante ! » S’exclame Denis.
En évitant à tout prix les « aliments plaisir », nos
sens exacerbés demeurent inassouvis, nous restons sur notre faim et nous
continuons à entretenir insatisfaction et frustration. Tous les aliments
que nous apprécions n’entraînent pas forcément une prise
de poids. Il est temps de cesser de nous battre avec la nourriture et avec nous-mêmes
et d’aspirer à une réconciliation entre cuisine et plaisir.
Et si nous nous autorisions occasionnellement à déguster une petite
quantité de notre aliment favori, avec la satisfaction réelle de
reconnaître et d’apprécier toutes les saveurs afin de nous
relier aux perceptions éprouvées ?
Apprenons à faire confiance à nos sensations, celles qui nous signalent
notre degré de faim et de satiété. En aiguisant davantage
nos sens, nous saurons reconnaître notre seuil de satisfaction et ainsi
guérir de notre hantise de grossir. Si nous nous initions à mieux
ressentir, nous lâcherons peu à peu le contrôle excessif pour
nous connecter aux vraies saveurs de la vie. Il importe à ce titre de retrouver
notre faim réelle et de réapprendre à se nourrir pour le
plaisir et non pour se punir.
Après des années de combat, Nicole raconte comment elle a retrouvé
le goût du plaisir :
«J’ai longtemps noyé l’inconnue que j’étais
avec des tonnes de nourriture sans éprouver de plaisir. Simplement, c’était
pour moi un pansement ou un moyen de détruire car j’avais décidé
que je ne méritais pas d’être bien. Il m’a fallu du temps
pour me reconstruire, m’apprivoiser et renaître. Des lectures, une
aide thérapeutique et quelques amitiés nouvelles m’ont accompagnée
dans ma démarche. J’ai appris à rééduquer mon
corps. Peu à peu, j’ai intégré que je pouvais sélectionner
des aliments qui me faisaient plaisir sans forcément grossir, choisir une
salade appétissante et craquante et délaisser sans regret un «
hamburger-frites » dégoulinant de graisse. A ma grande surprise,
je me suis mise à apprécier la nourriture, à manger moins
et surtout à mincir. »
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